A Rio, un cas d’école au lycée Molière
Le Monde.fr | 07.02.2015 à 19h08 • Mis à jour le 08.02.2015 à 17h28
Par Nicolas Bourcier (Rio de Janeiro, correspondant)
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« Je suis Thierry ». Le slogan claque sur le pavé carioca. Ils sont une vingtaine, tous professeurs au lycée Molière de Rio de Janeiro, et portent un même T-shirt en référence à « Je suis Charlie ». Ensemble, ils font grève devant les portes de leur établissement depuis mercredi 4 février, premier jour de la rentrée scolaire dans l’ hémisphère sud. Un débrayage de trois jours, suivi par les enseignants des lycées français de Brasilia, la capitale, et de Sao Paulo ce vendredi.

Ils sont « Thierry », Thierry Lesage de son vrai nom, pour défendre leur collègue instituteur depuis quinze ans, ici même, et qui vient de se voir signifier la fin anticipée de son contrat avec l’obligation d’intégrer un établissement du Val d’Oise. Rio-Franconville en ligne droite, aller-simple. « Certes, il n’y a pas mort d’homme, lâche un des grévistes, mais nous devons marquer le coup pour soutenir un collègue qui vient de voir sa vie professionnelle et familiale brisée. » Sa femme est brésilienne, enseignante de portugais au lycée Molière, où sont inscrits leurs deux enfants.

L’affaire Lesage est un cas d’école. Son profil résume l’extraordinaire ambivalence des établissements privés conventionnés à l’étranger, ces institutions subventionnées par l’Etat français mais régis par les lois locales et gérés par des associations de droit privé. Instituteur à l’ancienne, syndicaliste depuis des temps immémoriaux, Thierry Lesage est un professeur parfois décalé dans son comportement et aux méthodes frustes, mais dévoué et soucieux de ses élèves. Un enseignant « résident », comme on dit.

« HARCÈLEMENT MORAL »
Comme d’autres, Thierry Lesage est entré en conflit avec sa hiérarchie lors des négociations sur le statut du lycée. Par deux fois, il a été en pointe des grèves suivies par les professeurs de l’établissement qui s’opposaient aux projets de changement de convention liant le lycée à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Encore l’année dernière, il s’était clairement positionné contre la dénonciation de ladite convention décidée par le nouveau président de la Sociedade Francesa e Brasileira de Ensino (SFBE, gestionnaire de l’établissement), Claudio Guimaraes, patron d’une entreprise locale spécialisée dans les cœurs de palmiers. De quoi alimenter un certain mécontentement du côté brésilien. Mais le coup est venu d’ailleurs.

En octobre, lors d’un conseil de cycle, M. Lesage exige auprès de la directrice du primaire des explications sur certaines règles de procédure et de calendrier. Cette dernière quitte précipitamment la réunion et se rend chez le proviseur. Ce jour-là, elle écrira que le professeur Thierry Lesage manifeste une attitude qui s’apparente à du « harcèlement moral ». Le mot est lâché, et son sort quasi scellé.

Une médiation est lancée par les professeurs auprès du proviseur pour que les termes soient changés. Une rencontre a lieu à Rio avec la directrice de l’AEFE, Hélène Farnaud-Defromont. Elle laisse entendre que l’affaire est réglée. Le préavis de grève, déposé pour le jour suivant la venue de la responsable, est retiré.

Mais le 17 décembre, veille de la sortie des classes, Thierry Lesage est convoqué au consulat de Rio où sa fin de mission lui est notifiée. Il a une semaine pour constituer son dossier et préparer sa défense. Une commission paritaire est prévue pour la mi-janvier, à Paris. Celle-ci se scindera, les quatre voix des enseignants voteront pour le maintien du collègue. Les représentants de l’administration voteront unanimement contre.

PAS DE FAUTE PÉDAGOGIQUE
L’AEFE exclut M. Lesage du réseau le 27 janvier avec l’obligation de réintégrer l’Académie de Versailles six jours plus tard. Aucune faute pédagogique à l’égard des élèves n’a été retenue.

Thierry Lesage, tout comme la direction du lycée Molière, n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Au ministère des affaires étrangères, on rappelle qu’aucun professeur résident n’est titulaire de son poste et que Thierry Lesage  a déjà eu à plusieurs reprises maille à partir avec sa hiérarchie. Une décision certes difficile et qui aurait pu prendre une autre forme, mais qui s’inscrit dans l’ordre des choses, laisse-t-on entendre.

Pour les syndicats d’enseignants, l’affaire jette une lumière crue sur les tensions du moment. Elle laisse planer le doute sur l’avenir du statut des résidents, dont les accords sont en discussion dans différents pays. A Mexico, le lycée franco-mexicain, l’un des plus importants établissements scolaire français à l’étranger avec quelque 3 500 élèves, vient de mettre fin en septembre à sa convention.

En France, Thierry Lesage a déposé un recours gracieux auprès de l’AEFE. Une caisse a été ouverte par ses collègues pour les frais d’avocat. La procédure, elle, pourrait durer deux mois. Sa femme et leurs enfants sont restés à Rio. Le couple venait d’acheter un appartement dans la rue du lycée Molière.

Par Nicolas Bourcier (Rio de Janeiro, correspondant)